Troisième jour: retour à Mauthausen et visite de la carrière







Le lendemain matin, le bus nous ramène à Mauthausen. Contrairement à hier, nous savons ce qui nous attend : une immense forteresse de pierre construite par les déportés, sa lourde porte d’entrée et son interminable place d’appel. Cependant, nous ne nous sommes rendus ni au musée, ni dans la carrière. Cette visite séparée en deux jours était une volonté de la part de Guillaume, pour nous laisser le temps de réfléchir et de repenser à ce que nous avions vu la veille. Nous avons aussi pu en parler lors de la réunion du soir.
Lorsque nous arrivons au camp, nous reprenons le chemin des déportés, et nous passons la porte d’entrée. Une fois dans le camp, Guillaume nous amène devant le « mur des lamentations », nom que lui avaient donné les déportés. Des hommes y étaient attachés et battus jusqu’à ce que mort s’en suive. Les déportés qui rentraient de la carrière devaient passer devant ce mur tous les jours.
A ce moment, nous gorges se serrent, nos yeux s’humidifient et nous retombons dans le calvaire de Mauthausen.
Nous avançons ensuite sur la place d’appel, Guillaume désigne alors une des baraques comme étant « le bordel ». Devant notre incompréhension, il nous explique que des femmes déportées étaient emmenées dans cette baraque. Seuls les kapos et quelques prisonniers qui avaient « rendu service aux SS », en dénonçant un autre déporté par exemple, avaient le droit de se rendre dans ce bâtiment. Chaque trois mois, les femmes étaient assassinées dans la chambre à gaz et de nouvelles arrivaient dans le camp.
Guillaume nous annonce alors que nous sommes « libres » pour une heure. Une heure, tout seul dans le camp, où nous pouvons aller où nous voulons avec qui nous voulons. Nous sommes d’abord surpris car nous avons été toujours guidés. C’est l’occasion pour quelques uns de retourner dans des lieux que nous avions vus la veille ou comme pour moi de découvrir de nouveaux bâtiments. Je me dirige vers une bâtisse : une fois à l’intérieur, je découvre que la pièce a été transformée en une salle des drapeaux. En avançant encore, j’entre dans une chapelle. Sur les murs sont affichés des tableaux que je trouve choquants : des déportés portant une pierre sont éclairés par une lumière divine… Et ce n’est qu’en poursuivant vers le fond de la salle que j’arrive dans une petite pièce et que je découvre une pancarte sur laquelle il est indiqué que ce lieu n’a été transformé en chapelle qu’après la libération du camp. Et c’est ainsi que resurgit mon malaise dans ce camp : j’ai le sentiment que tout est mal indiqué, rien n’est expliqué et que si on s’y rend sans guide, on ressort du camp sans avoir rien appris, ni compris. Pourtant, cet endroit devrait faire prendre conscience de l’ampleur de l’horreur nazie mais ce n’est qu’un lieu vide, dont certaines parties ont été détournées de leur première fonction !
Après s’être réunis à nouveau, nous traversons rapidement le musée de Mauthausen, récemment construit. En effet, Guillaume souhaite que nous prenions du temps pour nous rendre dans la carrière. Nous passons par la salle où tous les noms de déportés sont inscrits. Cette œuvre permet de redonner un nom à ces milliers d’hommes que les nazis avaient essayé d’effacer en les appelant uniquement par leur matricule. Cette table recouverte de nom éveille deux sentiments contradictoires : d’une part ma peine s’accroît à chaque fois que je lis un nom mais je me sens aussi comme apaisée du fait qu’on redonne à ces hommes un tant soit peu de dignité…
Nous sortons du camp et nous nous dirigeons vers le tristement célèbre « escalier de la mort » qui mène à la carrière de Wienergraben. Après quelques minutes, nous nous trouvons en haut des 186 marches. La pente est impressionnante et on ne voit pas la fin de l’escalier… Nous devons en plus imaginer que les marches ont toutes été refaites afin que les visiteurs puissent les emprunter. Pendant la guerre, elles étaient de tailles et de longueurs inégales. Cette caractéristique avait été exigée par Himmler qui avait ordonné sa construction en 1939.
Nous commençons alors la descente avec précaution. Pendant ces 186 pas, j’imagine les prisonniers descendant en rang par cinq, au pas de course sous les cris et les coups des kapos et des SS. Ces 186 marches ont aussi été le lieu d’un kommando disciplinaire organisé à l’occasion de l’anniversaire d’Hitler : les détenus devaient monter et descendre sans jamais s’arrêter jusqu’à ce que mort s’en suive.
A l’extrême gauche de l’escalier, la falaise a été cruellement nommée « mur des parachutistes » par les SS. Un de leur « jeu » était de pousser les déportés pour qu’ils « volent ». Cependant, depuis que deux frères s’étaient donnés la main et avaient sauté, entraînant un SS dans leur chute, seuls les kapos se tenaient du côté de la falaise.
Une fois à l’intérieur de la carrière, Guillaume nous décrit l’enfer quotidien des déportés. Les hommes travaillent toute la journée dans un bruit de marteau piqueur infernal ; ils ne peuvent presque pas respirer à cause de la poussière permanente. Trois mois de travail dans la carrière sont souvent suffisants pour exterminer un détenu. J’ai beaucoup de mal à imaginer une telle horreur.
Aujourd’hui la nature a repris ses droits : des arbres poussent et le sol est parsemé de pelouse, on entend le chant des oiseaux…
Pourtant c’est dans cette carrière que notre voyage prend tout son sens. En effet, Guillaume nous explique que dans cet endroit et dans tous les lieux de crimes nazis, les SS ont essayé d’imposer un sentiment de haine et de peur. Mais malgré leur combat acharné, des détenus ont eu des gestes de solidarité, de fraternité…
D’ailleurs que signifie la fraternité ? Ce mot fait pourtant partie de notre devise nationale mais je pense qu’on ne mesure pas son ampleur et son importance.
Quand on y réfléchit un peu, que seraient la liberté et l’égalité sans la fraternité ?
Si tout le monde était « uniquement » libre, alors chacun agirait suivant ses propres intérêts et ce serait alors l’anarchie. Si nous étions tous « seulement » égaux, alors il n’y aurait plus de diversité et nous serions obligés d’adopter le même comportement et d’effectuer les mêmes actes. Ainsi la fraternité permet aux deux autres principes de notre devise de fonctionner, elle est notre engagement commun pour que nous puissions vivre ensemble, libres, dans une société sans inégalités criantes.
Cette fraternité doit s’appliquer non seulement entre les citoyens mais aussi entre les pays. En effet, le seul moyen d’entretenir une paix en Europe est qu’aucun de ses membres n’ait un projet domination. Car DOMINATION = VIOLENCE. L’Union Européenne prend alors tout son sens, il est vrai qu’elle connaît des dysfonctionnements, mais remettre son fondement en question serait risquer de voir s’achever ce climat de paix, de nombreuses fois déjà rompu dans le passé. Nous en tant que futurs électeurs, en tant que citoyens européens, nous auront aussi le pouvoir de changer en votant.
Ce discours que vient de prononcer Guillaume est celui qui m’a le plus marquée et m’a convaincue de la nécessité de témoigner à notre retour. Je me suis aussi sentie soulagée, comme si on avait enlevé une partie du poids qui pèse sur mes épaules. Je me dis que, demain, je pourrai agir, notamment en votant, et faire perdurer cette paix si précieuse.
Ainsi, le sacrifice des 43 nationalités de déportés présentes à Mauthausen n’aura pas été vain.
Léna P